Ne pas détourner le regard

Le développement d’une nouvelle vision

Une conscientisation sociale semble se développer autour de la question de l’isolement, particulièrement en ce qui concerne la population âgée. Parce qu’on en connaît de plus en plus sur les impacts nocifs sur la santé ou parce que davantage d’attention est portée aux aînés, en raison du vieillissement de la population, le fait est que ce sujet se voit actuellement accorder une place plus grande dans les médias et l’actualité.

La création d’un ministère de la Solitude en Grande-Bretagne, une initiative généralement saluée là-bas comme chez-nous, nous force à regarder le portrait de notre propre situation, de l’autre côté de l’Atlantique. En effet, malgré la difficulté d’obtenir des données à ce sujet, certaines sources évaluent que la réalité britannique serait similaire à celle du Québec, avec environ 15% des personnes aînées qui souffriraient d’isolement social et potentiellement des conséquences que cela peut impliquer[1].

Quand on pense aux impacts à court et long terme que peut avoir l’isolement dans la vie d’un individu, la liste est longue. Alors qu’on peut très bien imaginer que le fait de ne pas avoir de liens significatifs, de contacts ou de réseau de soutien est souffrant, on reconnaît aujourd’hui que l’étendue de ces conséquences est beaucoup plus vaste qu’on aurait pu le croire. Affectant la santé physique comme la santé psychologique[2], les études sur le sujet nous apprennent que l’isolement peut avoir des liens avec certains troubles de santé, comme la dépression, l’anxiété ou encore les maladies cardiovasculaires. Sans tomber dans les stéréotypes dépeignant toutes les personnes de plus de 55 ans comme seules, fragiles, malades et malheureuses, il importe de considérer les individus auxquels cette réalité s’applique.

Apporter des solutions adaptées

Le fait de considérer l’isolement social dans toute sa complexité et son ampleur permet tout d’abord de le définir plus précisément et de le différencier du sentiment de solitude, ou encore du simple ennui passager. Prendre conscience de l’importance et de la complexité de cette problématique sociale nous renvoie très certainement à la considération que nous portons en tant que société aux aînés, en premier lieu, et à la santé mentale, en deuxième lieu. À ce sujet, il y a encore certainement du chemin à faire. En effet, on se voit encore dans l’obligation de comparer les impacts de l’isolement à des enjeux comme le tabagisme, l’alcoolisme, la sédentarité et l’obésité, dont les conséquences sur la santé sont aujourd’hui largement reconnues, pour s’assurer qu’on en comprend l’importance. De plus, on constate encore le besoin d’illustrer les impacts par des exemples reliés à la santé physique, puisque la reconnaissance sociale de la santé mentale et des enjeux y étant associés n’est pas tout à fait atteinte.

C’est dans un contexte comme celui-ci que l’approche des déterminants sociaux de la santé prend tout son sens. Il s’agit de considérer les problématiques qui affectent la santé des populations, tel que le nom l’indique, comme des enjeux sociaux dont les facteurs d’influence autant positifs que négatifs s’inscrivent dans les communautés. Alors que des réponses satisfaisantes tardent à se faire entendre dans le système de santé public lui-même, le milieu communautaire propose bon nombre d’initiatives pour répondre au problème, un exploit qu’il accomplit avec les faibles moyens dont il dispose. C’est le cas du programme Apprivoiser sa solitude et développer son réseau, offert par l’ACSM-Montréal. Dans une approche de promotion et prévention en santé mentale qui correspond particulièrement à la problématique de l’isolement social des aînés, cette série d’ateliers propose aux participants de développer une meilleure connaissance d’eux-mêmes ainsi que des ressources disponibles dans leur milieu pour favoriser leur mieux-être.

Répondre à la souffrance et la prévenir

Si l’utilisation d’un vocabulaire alarmiste (« problème de santé publique (…) criant », « fléau », etc.)[3] nous apprend une chose, c’est qu’un vent d’inquiétude souffle présentement et que celui-ci doit devenir porteur de changements. En effet, il importe de saisir l’occasion lorsque tous les regards sont tournés vers un enjeu, pour mettre à profit cette volonté d’agir, concerter les forces concernées et transformer la sensibilisation en action.

Il s’agit tout d’abord de développer et de favoriser le réflexe de la prévention, qui ne constitue pas la norme dans notre système curatif, davantage habitué à répondre à la crise plutôt qu’à tenter d’en prévenir l’apparition. Dans ce type de démarche, c’est la société dans son ensemble qui peut concrètement être mise à profit, en créant des milieux propices à la participation sociale des aînés, en favorisant leur empowerment et en assurant un filet de sécurité adéquat.

Le sujet de l’isolement social et de la solitude des aînés n’est pas de prime abord accrocheur, comme c’est le cas de bien des problématiques affectant certains des membres les plus vulnérables de la société. Pourtant, ce sont souvent ces mêmes personnes qui ont peu de ressources pour défendre leurs droits et obtenir l’aide dont elles ont besoin. C’est justement pour cela qu’il est de notre responsabilité collective d’en faire un problème que nous oserons regarder droit dans les yeux.

[1] http://www.ledevoir.com/societe/sante/518510/un-ministere-de-la-solitude

[2] https://www.canada.ca/fr/conseil-national-aines/programmes/publications-rapports/2014/isolement-social-aines/page05.html

[3] http://www.ledevoir.com/societe/sante/518510/un-ministere-de-la-solitude